Bonjour,
Un vieux post réactivé hier parle de la « filiation Césium137-Baryum 137 » , d’équilibre et autres. Sans rentrer dans l’aspect cinétique de la chose, je voudrais en profiter pour évoquer ce que j’appelle la légende de la filiation Césium-baryum :
Vers 9h30 du matin, pendant votre premier café de la journée, vous papotez tranquillement avec votre collègue, et vous évoquez le 59 KeV émis par l’Américium 241, puis le 1173 keV émis par le Cobalt 60.Votre collègue vous regarde avec ses yeux vitreux qui font son charme habituel, tout en opinant mollement du chef et en touillant tranquillement son café (
ce qui prouve la puissance du cerveau humain capable de générer inconsciemment 2 mouvements indépendants de natures différentes : une oscillation antéro-postérieure de la tête et un mouvement circulaire de la main) ;
Puis vous évoquez le 661 keV émis par le Césium 137, et là, soudainement, votre collègue se fige, son regard s’éclaire, et il vous dit d’une voix ferme :
« Ah, mais attention, le 661 keV c’est pas pareil : Il n’est pas émis par le Césium 137, mais par son fils, le baryum 137(m) !! »Vous lui répondez alors :
« D’accord, mais on s’en tape. C’est pareil pour l’Amér… »Mais là, il a un geste brusque, se renverse le café sur la chemise sans même ressentir la moindre brûlure, et s’en va , agitant les bras au dessus de la tête en hurlant :
« Le 661 keV est émis par le baryum , le 661 keV est émis par le baryum … »
Vous ne le revîtes jamais. Il parait qu’il existe dans le petit village de Caleta Tortel, en Patagonie, un gringo un peu ermite surnommé
Baryo treinta de septiembre ciento. Que vouliez –vous dire avant qu’il ne vous coupe la parole ?:
« D’accord, mais on s’en tape. C’est pareil pour l’Américium 241 : le 59 keV est émis par le noyau fils Neptunium 237, et pour le 1173 keV du Cobalt, il est émis par le noyau fils de Nickel 60, et cela est valable pour toutes les désintégrations : les photons gamma sont émis par les noyaux fils produits dans un état excité. ».Alors pourquoi en faire toute une caisse à propos du Césium 137 ?
Parce que le niveau excité à 661 keV a une durée de vie extrêmement grande par rapport à la plupart des niveaux excités. La durée de vie « habituelle » des niveaux excités se situe plutôt dans la gamme des pico ou des nanosecondes, ce qui à notre échelle de temps humaine, nous parait instantané, et peut donner l’illusion que le photon est émis directement par le noyau père.
Le niveau excité à 661 keV du baryum 137 a une durée de vie moyenne égale à 3,6 mn, soit une période de l’ordre de2,5 mn. Ce qui est une éternité comparée à une nanoseconde. Et surtout nous laisse le temps de séparer chimiquement l’élément baryum de l’élément Cesium et de mesurer la décroissance du niveau exicité, appelé état isomère. Ceci est réalisable avec une vache à Baryum, où ces éléments sont séparés par élution dans une résine.
Mais tout ceci n’est que relatif, et si effectivement 2 mn nous semble une éternité devant la nanoseconde, alors la nanoseconde est elle aussi un éternité devant la durée de vie du boson Z0, égale à 3E-25 seconde (soit 3 dixième de yoctoseconde
).
Et pourtant fondamentalement tout ceci obéit au même schéma :le niveau excité à 59 keV du neptunium 237 est en filiation avec l’Américium 241, avec un équilibre rapidement atteint…… dans notre référentiel temps usuel.
Mais c’est ainsi. D’exemple pédagogique simple montrant une généralité, le Césium 137 est officiellement devenu l’exception. A tel point que dans certaines bases de données, si l’on ne précise pas Césium –baryum à l’équilibre, vous n’avez pas l’émission du 661 keV (voir post récent sur les LPCS).
Mais alors il faudrait préciser aussi équilibre entre Am241 et Np237 pour voir apparaitre le 59 keV.
Je conçois par contre que l’on fasse le distinguo pour les familles naturelles, où les périodes sont bien plus longues, souvent d’ordre géologique, et les ruptures d’équilibres plus conséquentes.
Ce qui est plus intéressant dans ce problème, et moins bien connu, c’est la raison pour laquelle le niveau excité du baryum est anormalement longue, sans être pour autant géologique.
Ceci est lié au spin intrinsèque des noyaux, encore appelé plus proprement moment angulaire.
L’idée, c’est qu’un noyau possède un spin, exactement comme une toupie qui tourne, et que ce spin peut varier en fonction du niveau excité du noyau
Si un noyau excité veut faire une transition vers un niveau excité plus bas, il est préférable que la différence de spin entre les deux niveaux ne soit pas trop grande. Car c’est exactement comme une toupie qui tourne :
Pourquoi ne tombe t’elle pas ?
Parce que pour chuter il faut modifier son moment cinétique (le vecteur rotation dirigé vers le haut). En l’occurrence, une toupie debout mais qui ne tourne ne pas peut chuter, parce que son spin est nul, de même que dans son état final, couchée sur le coté. Donc avant de pouvoir chuter, la toupie qui toune doit se débarrasser de son moment angulaire, ce qu'elle réalise petit à petit par frottement.
Ainsi le spin du niveau à 661 keV a un spin égal à 11/2 et l’état fondamental un spin égal à 3/2. La grande différence de spin (4) rend la transition difficile car le photon émis doit emporter cette différence de spin, ce qui n’est pas facile pour lui. Cette transition est appeléé 16-polaire magnétique (M4), alors que la plupart du temps les transitions se font avec des différences de spin de l’ordre de 1, appelé dipolaire électrique (E1).
Il existe ainsi quelques états isomères bien connus dans le nucléaire. Citons :
-Le Technetium 99 m (transition M4 à 142 keV) avec une période de 6 h, utilisé en imagerie médicale.
-L’Argent 110 m (transition M4 à 116 kev) de période 250 jours, très irradiant, produit dans les réacteurs par capture neutronique sur l’argent 109 dissous dans l’eau du primaire.
Remarque : le photon ayant un spin intrinsèque égal à 1, les transitions entre deux nivéaux de spin nul ne peut pas se faire (transition interdite). C’est le cas du niveau à 1760 keV du Zr 90, obtenu dans la désintégration de l’Yttrium 90. Cela participe au fait que malgré une (vraie) filiation, une source de Strontium-Yttrium 90 n’émet pas le moindre photon.
Et voilà, j'en ferait pas tous les jours des comme ça, promis.
Gluonmou