Bonjour,
j'aime beaucoup le modèle de la goutte liquide. Il permet avec une physique "avec les mains" de retrouver la masse des noyaux, et ensuite les énergies libérées dans les processus nucléaires, la courbe se stabilité, les paraboles de masses des isobares..... C'est le modèle de départ qui permet, en déformant la goutte, d'avoir une approche "macroscopique" d'un noyau qui fissionne.
C'est pour ma part une prouesse de ces grands physiciens qui faisaient tout sur le papier, à l'ancienne. De plus Hans Bethe était un grand bonhomme, sur le plan humain, qui est décédé assez récemment en 2001 de mémoire à 99 ans je crois .
En gros ce modèle calcule l' énergie de liaison moyenne des nucléons dans un noyau. Il comporte plusieurs termes que l'on ajoute successivement, chaque terme ayant une explication physique particulière. Il n'est pas question ici d'un quelconque "fit", très à la mode, mais d'un modèle phénoménologique prédictif.
Le premier terme considère qu'un nucléon dans le volume du noyau n'interagit, via l'interaction nucléaire forte attractive, qu'avec les nucléons qui sont en contact avec lui (comme dans une goutte d'eau avec les forces de van Der Walls entre molécules). On peut en moyenne considérer une moyenne de 16 MeV d'énergie de liaison pour un nucléon dans le volume.
Le second terme est le terme de surface. le raisonnement est simple : on peut considérer qu'un nucléon en surface a moins de voisins. Donc moins de liaisons. Ce qui fait baisser la valeur moyenne pour l'ensemble des nucléons. On a là encore le même effet pour une goutte d'eau, avec le concept "de tension superficielle". C'est donc un terme qui est simplement proportionnel à la surface d'une sphère
Un petit mot sur cette tension superficielle, car elle est souvent comprise à l'envers, avec l'histoire des petites bébêtes qui courent dessus, like JC : la surface d'une goutte d'eau n'est pas comme un "film de plastique" qui s'oppose à la pénétration de ladite bébête. Avec un tel film, cela reviendrait à considérer que les molécules en surface sont plus liées. Alors que c'est bien l'inverse. Les molécules en surface sont moins liées, et donc à un niveau d'énergie supérieur (dans le puits de potentiel attractif). Lorsque la bébête marche dessus, elle déforme la surface, et donc l'augmente. Pour augmenter la surface, il faut faire passer des molécules du volume à la surface. Ces molécules en volumes étant plus liées, cela demande de l'énergie. Si le poids n'est pas suffisant, cette demande énergétique s’oppose à la pénétration dans l'eau. On parle de tension superficielle de l'eau (qui fait penser au film), mais en fait c'est un jeu d'échange entre surface et volume (une bulle de savon, par exemple, c'est bien un film).
C'est le même effet qui s'oppose à la déformation des noyaux par exemple, et qui empêche que tous les noyaux lourds fissionnent spontanément et instantanément. Certains y arrivent, mais ils trichent car ils le font par effet tunnel (ils profitent d'un moment où les interactions "oublient" un peu de se produire), et donc ça prend du temps.
A noter qu'un noyau lourd qui fissionne génère 2 noyaux qui ont en tout ont le même volume que le noyau initial , mais une surface plus grande, ce qui demande de l'énergie. Donc l'effet de surface s'oppose bien à la fission spontanée (ou pas)
Le troisième terme est le terme de répulsion coulombien. qui n'a pas d'équivalent dans la goutte d'eau En effet tous les protons du noyaux se repoussent 2 à 2 par effet coulombien. Qui dit répulsion dit effet anti-liant. La répulsion coulombienne fait donc baisser l'énergie de liaison moyenne (et donc augmente la masse des noyaux). Il se calcule assez simplement avec une approche classique utilisé en électrostatique pour calculer l'énergie de répulsion d'une sphère chargée.
Au bilan on retrouve bien la fameuse courbe d'Aston, avec une énergie moyenne de liaison par nucléon qui tourne entre 7,5 et 8,5 MeV, sauf pour les plus légers. Ainsi un nucléon dans un noyau a une masse effective moyenne de l'ordre de 930 MeV, alors qu'il a une masse de 938 MeV à l'état libre (énergie de masse au repos pour les puristes)
Lorsque l'on fait le bilan dans un noyau lourd qui a fissionné, on constate alors que la répulsion coulombienne à baissée, parce que chaque proton voit moins de protons. Donc l'énergie de liaison globale augmente. On est gagnant dans la fission lorsque cette augmentation de l'énergie de liaison est plus grande que la baisse de l'énergie de liaison en raison de l'augmentation de la surface (il faut se repasser le film souvent, avec des trucs qui baissent pendant que d'autres augmentent et réciproquement, et se répéter le mantra : "plus tu pédales moins vite moins tu vas plus vite, et moins tu pédales plus vite plus tu vas moins vite")
En conclusion, lorsqu'un noyaux lourd fissionne, l'énergie que l'on récupère est avant tout de nature électromagnétique. C'est pour cela que l'on ne peut gagner avec l’interaction nucléaire qu'en faisant de la fusion (de noyaux légers).
D'autres termes apparaissent ensuite, mais qui ne sont plus du ressort de la physique classique "à la main", mais de considérations quantiques. C'est là qu'il fallait le talent d'un Hans Bethe.
En espérant avoir été clair, à défaut d'être bref
Cordialement